[ Hot blood, these veins, my pleasure is their pain. ]
On y est. 23h12. Tu devrais bientôt passer la porte de l'arrière boutique afin de me rejoindre. Je mentirais si je disais que je n'étais pas un brin agacé par ton petit manège, ce soir. Mais t'as su me faire marrer, aussi. L'emmerdeuse que tu es sait pertinemment que son fidèle compagnon de route est là, à t'attendre afin que nous rentrions ensemble. Il est en effet hors de question pour moi de te laisser rentrer à pieds, accompagnée d'un gros lourdeau sorti d'on ne sait où qui pourrait te faire on ne sait quoi. Pourtant, celui-ci pense être l'heureux gagnant. Comme un con, le " keke des villes " qu'il est - comme j'aime à les appeler - lorgne depuis maintenant plus d'une bonne dizaine de minutes sur la mauvaise porte, attendant patiemment que tu ne daignes pointer le bout de ton nez. Une clope à la main, il est pour moi inutile de l'observer. Il est de ces gars qui se pensent intéressants et beaux gosses parce qu'ils possèdent les épaules carrées à force de prendre whey en tout genre, passant le plus clair de leur temps à la salle de sport à se regarder entre chaque levée de barre pesant plus du double de ton poids. Parce qu'il en a dans les muscles, mais n'en demeure pas moins dénué de tout neurone.
Les lumières de la ville éclairent vaillamment la ruelle dans laquelle nous sommes. Il fait nuit noire, pas une seule étoile en vue. La lune quant à elle - de par son croissant minime - se veut discrète. Un nuage blanc se faufile entre mes lèvres après que j'eus expiré, recrachant ainsi de manière éparse la fumée de ce bâtonnet de nicotine qui ne me quitte jamais. Ce soir, les clients en tous genres se sont succédés. Du jeune bobo de 18 piges au petit couple de retraité, toujours amoureux comme jamais, j'en ai eu des choses à voir. Ma soirée s'est passée comme à son habitude : attablé à la table du fond, celle de l'angle à demi illuminée et que l'on aperçoit à peine, mon œil attentif a prêté attention à ce petit manège qui se tramait. Carnet posé sur la table devant moi, crayon de papier en main gauche, chaque chose s'est vue annotée. De ce chocolat chaud offert par ce gars appelé Pavel à la belle Evka, au regard charognard que ce type a posé sur ta personne dès qu'il est entré dans le café. Evka quant à elle n'a pas su rester de marbre lorsque le costaud a fait jouer sa musculature et plus précisément celle de ses pectoraux, une fois sa bière face à lui. Il pensait t'impressionner, toi, blondinette aux yeux translucides. Pourtant, que dalle. Du moins, jusqu'à ce que tu lui indiques l'heure de ta fin de service. Nous nous connaissons depuis maintenant deux ans, je crois. A peu de choses près, ce doit être ça. Dès le début s'est instaurée cette habitude. Un soir, j'avais pu voir ta silhouette chétive se dessiner et vagabonder sous mes yeux. Il se faisait tard et les deux trois gaillards attroupés non loin de ta personne s'étaient retrouvés à te siffler, à dire quelques mots du genre " bonasse ", et j'en passe. De quoi me rappeler à quel point l'homme pouvait parfois être d'une bassesse sans nom. Ce n'est pas ainsi que l'on séduit. C'est au contraire en ne faisant rien, que l'on se retrouve à captiver le plus les gens, quels qu'ils soient. Je l'ai appris à mes dépends. Quoi qu'il en soit, depuis ce jour nous faisons chemin ensemble, et ce soir ne dérogera pas à la règle.
En effet, alors même que je zieute pourtant le vide, l'air hagard et perdu dans mes songes, c'est au cliquetis de la serrure qui se ferme que je te sais présente. La boutique est vide, lumières éteintes, et tu te joins à nous. Enfin, pour la faire claire c'est d'abord à l'autre gars que tu te fais cadeau de ta présence. Ne m'accordant de prime abord aucune attention. Un sourire en coin se dessine sur la commissure de mes lèvres alors que mes yeux roulent, un brin ennuyé mais aussi amusé par ton attitude de fausse rebelle. Cigarette à la bouche, j'aspire, j'inspire. Mes poumons s'emplissent de plus de toxicité tandis que je compte les secondes intérieurement. Un - il te parle, aucune réponse. Deux - il insiste, s'approche de toi. Près, un peu trop près. Trois - te voilà qui l'ignores de façon délibérée et scandes mon prénom, anéantissant ainsi tous ses espoirs de te voir dans ses filets. Quatre - tu me fais face et restes plantée là, comme un air de défi. Cinq - il n'existe plus.
La brume s'extirpe de ma bouche. Cigarette terminée, j'en écrase le mégot avant de centrer mon regard sur toi. Sourcils levés au ciel, tête hochée avec nonchalance, tu n'auras pas le plaisir de me voir m'énerver. Pas ce soir.
- D'habitude, t'as meilleur goût. J'mets un petit 4,5 pour celui-là, on a connu mieux, m'amusai-je en allant me planter face à ton gars pour l'étudier.
Main tendue à son égard afin de la lui serrer faussement, l'incompréhension est clairement lisible sur son faciès. Cependant, il répond à mon geste en mimant le mien de sorte que nos paumes se serrent. J'en profite pour y glisser mon mégot, mes iris brunes piquées dans les siennes.
- Bonne nuit, p'tit. Mais elle rentre avec moi, Iéva.
Sur ce, j'attrape ta main au vol après t'avoir rejointe pour que nous empruntions le chemin habituel ensemble. L'ambiance est lourde, mais cela ne dure que très peu de temps. Mes dix doigts s'enfoncent dans les poches du sweat-shirt qui me couvre.
- Tu t'es bien amusée, avoue. J'suis certain que tu pensais que je bouillonnais.